Dans l’ancien monde, c’est-à-dire il y a moins de 80 jours, le démarchage téléphonique en assurance n’avait guère bonne presse. Après avoir été sanctionnés à plusieurs reprises par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), les distributeurs ont dû réviser leurs méthodes suivant l’avis du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) en date du 19 novembre 2019 et sous la pression de plusieurs projets de loi érigeant diverses mesures contraignantes à leur encontre. « L’ensemble de ces actions ont atteint leurs objectifs, sensibiliser le marché de la vente à distance, en rappelant aux acteurs qu’ils étaient surveillés », avance Benoît Lapointe de Vaudreuil, avocat aux barreaux de Paris et du Québec.
Puis le Covid-19 est arrivé et les entreprises se sont adaptées en urgence aux règles sanitaires. Elles ont fermé leurs points de vente et actionné tous les leviers de contacts à distance pour solliciter leurs clients et prospects, eux-mêmes piégés par le confinement. Démarchage téléphonique et vente par internet sont devenus indispensables dans de nombreux secteurs d’activité pour « sauver les meubles ». L’assurance n’a pas échappé à la règle.
La VAD, un soutien pour l’activité depuis deux mois
Depuis le début du confinement, les distributeurs « équipés » pour la vente à distance (VAD) ne boudent pas leur plaisir. « Selon les données de marché en ma possession, des courtiers qui commercialisent des complémentaires santé via des grosses plateformes, ont pu maintenir à environ 80 % une activité de démarchage en direct ou par achat de leads », confie Pascal Evrard, Président de l’association de courtiers ACCA (association des courtiers combattant pour l’assuré).
De son côté, Hervé Massié, Directeur Général de Wazari, rappelle que 80% de ses apporteurs sont des courtiers de proximité qui rencontrent habituellement leurs clients en agence ou à leurs domiciles et que 20% sont des opérateurs de vente à distance, avec des plateformes installées en France comme à l’étranger. « Ce sont eux qui ont généré la quasi-totalité des 50% de l’activité que nous avons maintenue pendant le confinement », met-il en avant.
Quant à Jérémy Sebag, président de SPVie Assurances, une société présente sur tous les canaux de distribution, il se félicite d’avoir déployé le canal de la VAD :« ce dernier nous a permis de limiter le chômage partiel à 1 % seulement de nos effectifs. Grâce à notre technologie dans ce domaine, nos réseaux ont pu maintenir leur activité et ont su répondre aux besoins de protection des clients, notamment en prévoyance, au moment où ils en ont ressenti un réel besoin. »
Dans un autre domaine, celui de l’épargne, la VAD a toujours été un exercice compliqué «je ne connais pas de réseaux qui ont réussi à vendre des produits d’épargne vie par téléphone », avance Pascal Evrard. En revanche, certains assureurs ont marqué des points sur la vente en ligne ces dernières années en passant par des courtiers spécialisés. Pourtant, même en assurance vie et retraite, la distanciation physique imposée a parfois créer de bonnes surprises.
Ainsi, une société de gestion de patrimoine indique qu’elle a mis en place très rapidement un système de visio-conférence pour que ses mandataires continuent leurs rendez-vous avec les clients. Elle a aussi implémenté un nouveau système de souscriptions 100 % digital en collaboration avec l’ensemble de ses partenaires, ce qui lui a permis de maintenir un niveau d’activité comparable à celui de l’an passé sur la même période.
De nouvelles opportunités
De l’avis de tous les acteurs interrogés, cette crise sanitaire inédite laissera des traces chez les particuliers au niveau des couvertures d’assurance recherchées. Certaines garanties, qui auparavant se vendaient pourraient demain s’acheter. « Notre croissance sur la santé est forte et compense la baisse sur l’assurance automobile. Notre produit moyen-haut de gamme est très en pointe sur la téléconsultation médicale et contient des applications de gestion, de type envois de factures ou de devis, qui, ’il y a encore quelques mois, pouvaient paraître un peu gadgets mais qui peuvent se révéler très utiles dans un monde confiné où la poste n’est pas tous les jours ouverte », explique Hervé Massié.
Les changements seront aussi visibles sur la partie prévoyance où les clients seront plus à l’écoute que par le passé et plus attentifs. « Je pense à l’assurance emprunteur, pour laquelle il y a un vrai sujet de pouvoir d’achat, mais aussi aux travailleurs indépendants qui payent souvent cher leurs garanties santé et ne sont pas bien couverts en prévoyance. Il y aura de nouveaux entrants agressifs sur le marché, mais de vraies opportunités vont naitre », souligne Denis Bizien, président de Filiassur.
La Parisienne Assurances, spécialiste de la marque blanche et des solutions affinitaires en IARD ne note pas de son côté de demandes particulières à l’exception d’une hausse des sollicitations pour les assurances à l’usage. Quant au niveau d’activité en digital, « nous nous attendions à une baisse, mais nous constatons finalement un maintien depuis le début de la crise, voire une hausse des affaires nouvelles par ce canal pour certains partenaires », admettent Éric Allombert et Benoit Merel, Chief Marketing & Communication Officer et Chief Digital Officer de La Parisienne Assurances.
L’avance des VADistes, un atout pour demain…
En quelques semaines, la VAD a permis de sauver des distributeurs en réduisant l’impact de la crise sur leur activité. Il sera difficile de s’en passer à l’avenir. « Nous sommes fortement sollicités en ce moment, notamment pour accompagner nos clients sur des solutions de vente à distance. Cette crise exceptionnelle va accélérer la digitalisation du secteur. Depuis quelques années, les usages ont changé et les nouvelles technologies sont au cœur de la réflexion des professionnels de l’assurance.A présent, c’est très clair, ils n’ont plus le choix », fait remarquer François Chevé, Directeur de Marché Banques et Assurances chez Teleperformance.
Sidney Mbassi, Directeur adjoint de Praeconis, confirme cette approche. « Les assureurs veulent passer à la vitesse supérieure, confortés dans l’idée que la vente à distance et le digital doivent devenir des réalités. Chez Praeconis, 2020 est une année charnière, car nous avons prévu un nouveau site marchand sécurisé par une double signature électronique. Nous savons que nous devons accélérer le mouvement sur le processus de vente en direction de nos courtiers apporteurs. »
...à condition de prévoir quelques réglages
Le processus est un chose, mais il ne faut pas en oublier les produits : « ces derniers doivent être clairs et avoir pour objectif de payer tout le monde, tout le temps et tout de suite. Pour que le conseil soit simple, le produit doit être simple. Prenons l’exemple d’une garantie hospitalisation, celle-ci doit être facilement compréhensible pour le client », précise Denis Bizien.
Tout s’achète à distance à condition de respecter les règles. Prenons l’exemple de l’avis du CCSF sur le démarchage téléphonique qui, schématiquement, prône la vente en deux temps sur les appels entrants. Celui-ci réclamera toute une technologie pour respecter les différentes étapes de souscription. « Nous avons développé ces dispositifs spécifiques et sommes prêts à accompagner les assureurs dans cette démarche », avance François Chevé.
Une des difficultés, pour le risque des particuliers, restera la sélection médicale en prévoyance, notent bon nombre de professionnels. Des solutions sont à trouver, notamment avec les réassureurs, relève Pascal Evrard, et de poursuivre, « sans cette crise sanitaire, il n’y aurait pas eu un tel acharnement à trouver de nouvelles solutions. » On notera cependant que certains opérateurs ont réalisé des parcours exceptionnels dérogatoires à l’instar du courtier en ligne Digital Insure qui, dans le contexte du confinement et de fermeture de certains centres de santé, a mis en place un allégement exceptionnel des démarches destinées aux clients finaux et aux courtiers en la matière.
Et puis, les outils de visio-conférences ont été et resteront plébiscités, mais leur utilisation dans un environnement normal devra peut-être nécessiter quelques adaptations réglementaires, avertit Benoit Lapointe de Vaudreuil. L’avocat estime que, « dans ce contexte, la complexité se situera au niveau du management des équipes commerciales en sachant que les opérateurs de vente à distance ont sur ce terrain une longueur d’avance. Ils sont en effet habitués à gérer les plateaux, ce qui n’est pas toujours facile. »
Mettre un terme à la chasse à la VAD
Reste qu’il convient de faire preuve d’un optimisme mesuré. Si la VAD a bien aidé le secteur de l’assurance, elle n’en demeure pas moins en liberté sous caution. L’ACPR continue de veiller. Dans une communication du 21 avril dernier, elle indiquait que « le confinement au domicile ne doit pas être le prétexte de campagnes de commercialisation par téléphone qui ne respecteraient pas les prescriptions légales et les recommandations du CCSF ». »
Les courtiers « VADistes » n’ont pas fini leur combat. Une partie d’entre eux se sont réunis dans une association, l’Association de Courtiers Combattants pour l’Assuré (ACCA www.acca-france.org). « L’image de la vente à distance est mauvaise et pourtant les assureurs courent après les VADistes parce qu’ils ne sont pas organisés pour lette activité. Notre objectif est de montrer une autre face de la vente à distance, en mettant en avant les courtiers qui, après s’être engagés sur une charte précise, respectent les recommandations du CCSF », explique Pascal Evrard.
Les barrières à l’entrée sur la vente en deux temps qui supposent l’envoi de toutes les informations précontractuelles, ne sont pas infranchissables.
« Je maintiens que nous avons un meilleur traçage qu’un opérateur commercialisant en face à face », souligne Jérémy Sebag, qui estime que le « débat sur la VAD doit à présent être révisé à l’aune de la crise ».
Quant à la vente en ligne, notamment en assurance vie, la crise lui donne une fenêtre de tir intéressante, compte tenu de son parcours de vente bien balisé, pour satisfaire là encore, au devoir d’information et de conseil, via l’intelligence artificielle.
En conclusion, il est clair que le rêve de certains de voir disparaître la VAD s’éloigne avec la crise sanitaire, d’autant que, un peu comme le télétravail, bons nombres de clients se sont rendus compte à l’usage que les systèmes fonctionnent correctement et qu’ils ont finalement pris goût à ce « nouveau monde »…et pas uniquement en assurances.
JC Naimi le 13 mai 2020