Prévention, bonnes pratiques et grands risques de santé publique : le baromètre santé conduit par Odoxa en partenariat avec la FG2A a observé les pratiques des Français en matière de nutrition, d’alcool, de tabac ou encore de cannabis, avant, pendant et après le confinement. Le point de vue d’Olivier Milcamps, membre de la commission santé de la FG2A et senior manager chez PMP Conseil, sur les résultats de l’étude.
Comment percevez-vous l’étude dans son ensemble ? Les résultats vous étonnent-il ?
Je suis peu surpris dans la mesure où d’autres études faisaient déjà ressortir des résultats similaires. Cette période de confinement a cependant été inédite, et a plus que jamais placé la santé au cœur des préoccupations, avec des nombres de morts annoncés tous les jours. Je suis également surpris par la relativisation des risques post-confinement alors que chacun dit plus ou moins en connaître les facteurs. La fin du questionnaire m’étonne enfin concernant les mesures à prendre pour responsabiliser les citoyens : il me semble qu’elles ont déjà largement été mises en œuvre, à l’image de la hausse du prix du tabac. Je constate aussi avec peine que les Français reprochent à l’Europe de ne pas en avoir fait assez, alors qu’elle n’a pas de prérogatives en la matière.
Êtes-vous étonné que les Français estiment être aussi bien informés sur les risques alors même que beaucoup d’entre eux ont des pratiques à risques (prise de poids, alcool, tabagisme…) ?
Je ne suis pas étonné que les Français surestiment globalement leur niveau d’information. La prévention reste en France un sujet trop marginal, et l’éducation à la santé largement insuffisante. Le décalage est donc logique entre le sentiment d’être bien informé et le fait d’avoir des pratiques à risques répandues et qui baissent faiblement. Je pense que le sentiment de bonne information est causé par la faiblesse des politiques de prévention, comme le montrent les données épidémiologiques. Un premier indicateur de cette faiblesse des politiques de prévention est le niveau de la mortalité évitable – c’est-à-dire les décès qui pourraient être évités par une réduction des comportements à risque – par rapport à la mortalité prématurée (avant 65 ans). La France présente un des taux les plus élevés en Europe, après les pays baltes et les pays d’Europe centrale : + 28 % qu’au Royaume-Uni et + 26 % qu’en Espagne pour les hommes par exemple. Le taux de couverture vaccinale contre la grippe saisonnière représente un autre indicateur intéressant : entre 2011 et 2015, il a baissé de 5 points.
Considérez-vous que la sphère politique influence les prises de positions scientifiques et/ou médiatiques ?
En France, la sphère politique influence les résultats de la science par les moyens qu’elle ne lui accorde pas suffisamment. La recherche scientifique est largement sous-financée, comme la prévention dont nous parlions à l’instant. Les politiques s’affichent souvent plus peureux que la sphère scientifique ou l’opinion. Un exemple frappant concerne la loi relative à l’interdiction de fumer dans les lieux publics : alors qu’elle était plébiscitée par l’opinion – 74 % des Français demandaient une mise en œuvre immédiate – son déploiement a pourtant été très progressif : pourquoi cette frilosité ?
Pensez-vous que la défiance des français vis-à-vis du Ministère des Solidarités et de la Santé soit légitime ?
Je trouve le terme de défiance excessif : ce qui progresse, me semble-t-il, c’est surtout la méfiance vis-à-vis de l’ensemble des autorités de santé. En France, nous sommes les champions des agences : assez logiquement, l’opinion publique est méfiante. Dans la gestion de la crise du Covid-19, je ne nie pas la difficulté et la complexité de la situation, avec une pandémie dont on ignorait tout. Il y a cependant eu des erreurs de communication. La question des masques a été caricaturale : au lieu de nous dire qu’on n’en avait pas, on nous a tenu des discours sur le fait que les masques ne servaient à rien. On voit bien finalement que la plupart des gens en portent, et c’est là le pouvoir de l’intelligence collective. Ce sentiment de méfiance n’est-il pas dû au nombre de scandales sanitaires de ces dernières années, dont on pensait pourtant avoir tiré les leçons ?
Quel regard portez-vous sur l’amélioration des pratiques de santé dans les autres pays européens ? Selon vous, cette tendance va-t-elle se poursuivre ?
Globalement, les autres pays européens consacrent davantage de moyens à la prévention que la France : 1,9 % des dépenses de santé consacrées à la prévention en France contre 3 % en moyenne dans l’UE, voire 4% au Royaume Uni. Il n’est donc pas étonnant qu’ils obtiennent de meilleurs résultats même si la France n’est pas lanterne rouge pour autant sur tous les indicateurs. Mais au-delà du sous-investissement, le problème réside dans le contenu des actions de prévention. En France, quand les autorités engagent des actions de prévention, elles ne mettent quasiment l’accent que sur le comportement individuel alors qu’elles devraient reposer sur un second pied aussi important : l’environnement (lieu de vie, mobilités, accès au sport, etc.). On oublie également d’aborder un autre aspect, qui est celui des inégalités sociales particulièrement marquées en matière de santé en France. Ces dimensions sont pleinement intégrées en Angleterre, avec le programme de marketing social Change4life contre l’obésité infantile, par exemple.
D’après vous, à quoi est due l’amélioration du comportement des Français dans la consommation des produits à risque ?
Cette question est compliquée : l’amélioration repose sur de nombreux facteurs. Même si les dépenses de prévention restent insuffisantes, des efforts sont faits, avec par exemple l’assurance maladie qui met en place depuis 1998 des programmes de dépistage comme celui du cancer du sein. La population fait également part d’attentes croissantes, comme on le voit avec le succès d’applications comme Yuka. Même si l’effort n’est pas suffisant au regard des enjeux, la petite musique de la prévention s’installe et progresse lentement mais sûrement, de plus en plus en phase avec les attentes de la population. Le comportement des industries en matière de santé n’est pas non plus étranger à l’amélioration des comportements, à l’image de Danone qui a “accentué son virage santé”, comme l’avait titré le journal Les Échos quand Danone avait cédé sa branche biscuits.
Quelle est votre vision de la suite post-Covid en matière de santé ?
La crise a illustré de manière très forte que la prise de conscience est là. Je reviens cependant à la nécessité qui s’impose selon moi : consacrer plus d’efforts à la prévention. Ces efforts ne concernent pas que les décideurs, mais aussi les citoyens et les employeurs via des programmes dédiés. Un marché émerge : reste à définir qui doit faire quoi. Dans sa globalité, le système de santé n’a pas évolué sur ce sujet. Une certitude en tout cas : la question de la prévention ne concerne pas uniquement les médecins, dont il serait une erreur de considérer qu’ils sont les seuls préventeurs. Ils ont certes un rôle à jouer, mais encore une fois, ces problèmes de prévention relèvent de deux leviers d’actions clés : le comportement individuel, certes, mais aussi l’environnement sur lequel on ne joue pas actuellement. Le système de santé reste ainsi sous-performant par rapport à l’argent qu’on lui consacre. Ce n’est pas un problème d’argent mais de choix. Les concertations sont en cours dans le cadre du Ségur de la santé. J’espère qu’elles permettront de revaloriser les métiers de l’hôpital, mais qu’on ne s’en contentera pas et que la prévention sera désormais placée au cœur des enjeux sanitaires.